Jurisprudence

Portage salarial : la Cour de cassation vigilante sur le respect des principes généraux du droit du travail.

Depuis le 1er janvier 2015, les salariés en portage salarial se trouvent dans un vide juridique puisque l’accord collectif du 24 juin 2010 encadrant et posant des conditions favorables à leur activité n’est plus applicable. Le secteur est donc dans l’attente d’une ordonnance venant réglementer l’activité mais, malgré l’engagement de Manuel Valls de légiférer « avant la fin de l’année 2014 », le projet d’ordonnance ne cesse d’être repoussé, et ne devrait pas voir le jour avant le mois d’avril.

Rappelons que le portage salarial est, selon l’article L. 1251-64, un ensemble de relations contractuelles organisées entre une entreprise de portage, une personne portée, et des entreprises clientes, comportant pour la personne portée le régime du salariat et la rémunération de sa prestation chez le client par l’entreprise de portage. Sa particularité tient au fait que la personne portée est chargée de prospecter des clients pour leur fournir des prestations. Concrètement, le « porté » confie à une société de portage la facturation ainsi que la gestion administrative des missions qu’il effectue auprès d’un client qu’il a trouvé lui-même. La société de portage, de son côté, facture la prestation à la société cliente, prélève des honoraires et salarie le porté.

Cette forme atypique de travail peut présenter de nombreux intérêts, notamment dans un contexte marqué par la crise de l’emploi, en particulier chez les cadres de plus de 50 ans. Le portage est en effet un formidable moyen pour les seniors ayant une haute compétence dans leur domaine, mais peu recrutés par les canaux classiques, de favoriser leur retour à l’emploi. Il n’est d’ailleurs pas anodin que cette forme de travail soit apparue dans les années 1980 sous l’impulsion de cadres au chômage. Aujourd’hui, il se développe également de plus en plus chez les jeunes actifs, désireux de créer leur entreprise, mais souhaitant tester leur capacité à attirer et à maintenir une clientèle.

S’il présente beaucoup d’intérêts, le portage salarial fait également l’objet de dérives de la part d’entreprises pensant pouvoir s’affranchir du droit du travail en insérant dans les contrats de travail des clauses d’objectifs abusives permettant de licencier les portés n’ayant pas trouvés de nouvelles missions.

C’est dans ce contexte qu’intervient un important arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui devrait à la fois alerter les pouvoirs publics aussi bien que les salariés de cette forme nouvelle de travail.

Dans cette affaire, un salarié engagé en CDI par une société de portage salarial en qualité de directeur de contenu a été licencié au motif qu’il n’avait pas respecté la clause d’objectif de son contrat de travail. Celle-ci lui donnait l’obligation de conclure, avant la fin de sa mission en cours, une ou plusieurs nouvelles missions équivalentes à cinq jours par semaine. N’ayant pas trouvé de nouvelle mission, le salarié congédié contesta la licéité de la clause, afin de faire condamner l’employeur pour licenciement injustifié.

En l’espèce, le licenciement du salarié, fondé sur l’absence d’apport de client, est déclaré injustifié au motif que la conclusion d’un contrat de travail emporte pour l’employeur obligation de fourniture du travail. L’employeur a donc été condamné au versement d’indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, mais aussi à un rappel de salaires pour la période séparant la fin de sa dernière mission et la date de son licenciement.

Entre l’économie du portage salarial et celle du contrat de travail, la Cour de cassation a donc tranché en faveur de la seconde. Comme en 20101, elle applique strictement les règles du code du travail au portage salarial et confirme que les contrats de portage salarial ne peuvent échapper aux règles d’ordre public du droit du travail, dont fait partie l’obligation essentielle pour l’employeur de fournir du travail à son salarié. La subordination juridique, même lorsqu’elle s’applique à des travailleurs autonomes, implique que ce soit l’employeur qui fournisse un travail au salarié. L’inverse revient à lui faire supporter le risque économique de l’entreprise.

Soc. 4 février 2015 n° 13-25.627

NB : L’ordonnance du 2 avril 2015 revient sur cette jurisprudence en supprimant l’obligation pour l’employeur de fournir du travail aux salariés portés.

1 Soc. 17 février 2010 n° 08-45.298


Portage salarial : le législateur a jusqu’au 1er janvier 2015 pour légiférer

Le 6 février 2014, le Conseil d’Etat a renvoyé au Conseil Constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) de Force Ouvrière concernant le portage salarial. De ce fait, la haute juridiction donne suite à la demande de FO, à l’appui de sa requête tendant à l’annulation de l’arrêté d’extension du 24 mai 2013 relatif à l’accord national interprofessionnel du 24 juin 2010 sur le portage salarial, et renvoie aux sages la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la constitution du paragraphe III de l’article 8 de la loi du 25 juin 2008.

Le Conseil Constitutionnel par décision du 11 avril 2014, a décidé d’abroger, à compter du 1er janvier 2015, le paragraphe III de l’article 8 de la loi de modernisation du marché du travail, confiant aux partenaires sociaux la mission d’organiser le portage salarial. En effet, les sages de la rue Montpensier avaient soulevés d’office le grief tiré de « la méconnaissance par le législateur de l’étendue de sa compétence dans des conditions affectant la liberté d’entreprendre ». En d’autres termes, le Conseil considère que c’est à la loi de fixer les règles applicables au portage salarial alors que la convention collective doit se borner à préciser les modalités concrètes d’application des principes fondamentaux du droit du travail.

Cependant, le Conseil Constitutionnel ne fait pas droit à la question de FO qui considérait que l’article de loi précité méconnait la liberté syndicale et le droit de participation des salariés à la détermination collective de leurs conditions de travail (articles 6 et 8 du préambule de la Constitution de 1946), en ce qu’il confie la négociation collective de l’accord à une branche « dont l’activité est considérée comme la plus proche du portage salarial ».

Rappelons que suite à cette loi et à la position commune d’avril 2008, les partenaires sociaux étaient parvenus à un accord majoritaire (CFTC, CFDT, CFE-CGC, CGT et du côté patronal PRISM’Emploi) le 24 juin 2010. Cet accord est le fruit d’un dialogue social constructif qui a abouti à un noyau de règles sécurisantes et favorables pour le salarié porté comme à la stabilisation de la réglementation d’ensemble. Depuis juin 2013, l’extension de l’accord par le Ministre du travail, de l’emploi et du dialogue sociale, avait permis d’asseoir cette règlementation dans les entreprises, y compris celles peu scrupuleuses à l’égard de leurs salariés.

Afin de ne pas voir remettre en cause ces bonnes pratiques, l’OPPS enjoint les pouvoirs publics à prendre leurs responsabilités et à formuler un projet de loi reprenant les dispositions et les principes établis par l’accord du 24 juin 2010.

En effet, l’OPPS considère qu’un refus total de légiférer donnerait un quitus aux entreprises qui dévoient le portage en violant les droits des salariés, l’impact serait alors assez grave pour les entreprises qui respectent l’accord depuis 2010 en raison de la différence de contrainte en terme de concurrence.

Aujourd’hui, 50 000 personnes portées en transition et en reconversion professionnelle pourraient se retrouver au chômage en cas de rupture totale dans la sécurisation de cette profession, et beaucoup d’autres ne pourraient plus envisager le portage comme une option à favoriser.

Pour l’OPPS il est inacceptable que cette forme de travail ne soit pas réglementée (et qu’elle retombe de fait dans l’illégalité).